La Déclaration d’Alma-Ata (1978)

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Objectif du cours. Donner une compréhension complète de la Déclaration d’Alma‑Ata (1978) : contexte historique, lieu et date, acteurs et pays participants, contenu intégral (principes et éléments), recommandations et directives opérationnelles, réception, controverses et héritage (jusqu’à la Déclaration d’Astana 2018). Ce cours est rédigé dans le style d’un professeur d’université expérimenté.

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Cours magistral – version détaillée

Objectif du cours. Donner une compréhension complète de la Déclaration d’Alma‑Ata (1978) : contexte historique, lieu et date, acteurs et pays participants, contenu intégral (principes et éléments), recommandations et directives opérationnelles, réception, controverses et héritage (jusqu’à la Déclaration d’Astana 2018). Ce cours est rédigé dans le style d’un professeur d’université expérimenté.


1) Repères historiques et contexte intellectuel

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’OMS (1948) élargit la définition de la santé à « un état de complet bien‑être physique, mental et social, et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Les années 1960‑70 voient naître une réflexion critique sur les systèmes de santé centrés sur l’hôpital et la technologie. Plusieurs forces convergent :

  • Inégalités sanitaires Nord‑Sud et au sein des pays. Les indicateurs de mortalité infantile, d’espérance de vie et d’accès aux soins mettent en évidence de vastes écarts.
  • Émergence de la santé communautaire. Expériences locales (Sabará au Brésil, Jamkhed en Inde, « barefoot doctors » en Chine) montrent l’efficacité d’une approche de proximité, préventive et participative.
  • Développement et justice sociale. Le débat sur le « Nouvel ordre économique international » et le mouvement des pays non‑alignés remettent la santé au cœur des stratégies de développement.

C’est dans ce contexte qu’est convoquée, par l’OMS et l’UNICEF, la Conférence internationale sur les soins de santé primaires.


2) La conférence d’Alma‑Ata : où, quand, qui ?

  • Lieu : Alma‑Ata (aujourd’hui Almaty), République socialiste soviétique du Kazakhstan, URSS.
  • Dates : du 6 au 12 septembre 1978 (adoption de la déclaration le 12 septembre).
  • Organisation : Conférence conjointe OMS/UNICEF, accueillie par l’URSS et les autorités du Kazakhstan.
  • Participants :
    • 134 gouvernements représentés (délégations officielles),
    • 67 organisations des Nations Unies, agences spécialisées et ONG en relations officielles.
    • Des milliers de délégués (plénum, comités A/B/C, séances techniques et visites de terrain).
  • Exemples d’officiers/instances (témoignant de la diversité géopolitique) : présidence par le ministre soviétique de la santé (B. Petrovsky) ; vice‑présidences représentant l’Iran, le Swaziland (Eswatini), le Costa Rica, l’Inde, la RDP Lao ; présidences/rapports de comités (Pérou, Guinée‑Bissau, Finlande, Égypte, Philippines, Thaïlande) ; membres du comité général (France, Éthiopie, Soudan, Colombie, Barbade, Gabon, Empire centrafricain, États‑Unis, Espagne, Pakistan, RDA, Maurice).
  • Figures marquantes : Dr Halfdan Mahler (Directeur général de l’OMS), Henry R. Labouisse (UNICEF), T. Sh. Sharmanov (ministre de la santé du Kazakhstan), Marcella Davies (Sierra Leone, lectrice du texte final).

Note pédagogique. La conférence est structurée en séances plénières (vision politique), en trois comités (développement, aspects techniques/opérationnels, stratégies nationales et appui international), et en visites de terrain (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan) pour ancrer les principes dans des réalités de service.


3) La Déclaration d’Alma‑Ata : principes fondateurs (10 énoncés)

La Déclaration (adoptée par acclamation) énonce dix principes cardinaux, que nous synthétisons ici :

  1. Droit à la santé. La santé est un droit humain fondamental ; atteindre le plus haut niveau de santé est un objectif social mondial exigeant l’action de nombreux secteurs au‑delà du seul secteur sanitaire.
  2. Inégalités intolérables. Les inégalités de santé entre pays et à l’intérieur des pays sont politiquement, socialement et économiquement inacceptables.
  3. Santé et développement. Le progrès sanitaire dépend du développement économique et social (référence au « Nouvel ordre économique international ») et contribue en retour à la paix et à la qualité de vie.
  4. Participation. Les populations ont le droit et le devoir de participer à la planification et à la mise en œuvre de leurs soins.
  5. Responsabilité des gouvernements. Les États sont responsables de la santé de leurs populations ; l’objectif majeur pour les décennies suivantes est la « Santé pour tous » (Health for All) – un niveau de santé permettant une vie socialement et économiquement productive, visé à l’horizon 2000.
  6. Définition des soins de santé primaires (SSP). Essentiels, scientifiquement fondés, socialement acceptables, universellement accessibles avec participation communautaire, à un coût supportable, et pivot du système de santé et du développement social.
  7. Caractéristiques des SSP. Les SSP : (i) s’enracinent dans les réalités socio‑économiques et culturelles ; (ii) couvrent promotion, prévention, curatif et réadaptation ; (iii) exigent l’intersectorialité (éducation, agriculture, habitat, etc.) ; (iv) promeuvent l’autonomie et la responsabilisation des communautés ; (v) s’appuient sur des systèmes d’orientation (référence) fonctionnels ; (vi) mobilisent une équipe de santé pluridisciplinaire (médecins, infirmier·e·s, sages‑femmes, auxiliaires, agents communautaires, praticiens traditionnels formés).
  8. Politiques nationales. Chaque gouvernement doit élaborer politiques, stratégies et plans d’action pour lancer et pérenniser les SSP en coordination avec les autres secteurs.
  9. Coopération internationale. Tous les pays doivent coopérer pour garantir les SSP ; la santé dans un pays concerne tous les autres (interdépendance sanitaire).
  10. Paix et réallocation des ressources. Un niveau acceptable de santé pour tous peut être atteint par un meilleur usage des ressources mondiales ; la détente et le désarmement doivent libérer des moyens pour le développement, dont les SSP sont une composante essentielle.

À retenir. La Déclaration n’est pas qu’un texte normatif : elle repositionne la santé comme droit, comme levier de développement, et comme bien public mondial.


4) Les « huit éléments » des soins de santé primaires (contenu minimal)

La Déclaration précise un panier de services essentiels que tout dispositif de SSP doit, a minima, assurer :

  1. Éducation sanitaire sur les problèmes de santé prévalents et leurs moyens de prévention/contrôle.
  2. Nutrition : promotion de l’approvisionnement alimentaire et d’une nutrition adéquate.
  3. Eau potable et assainissement de base.
  4. Santé maternelle et infantile, y compris la planification familiale.
  5. Vaccination contre les grandes maladies infectieuses.
  6. Prévention/contrôle des endémies locales.
  7. Traitement approprié des maladies courantes et des traumatismes.
  8. Médicaments essentiels (disponibles, sûrs, d’usage rationnel).

Remarque pédagogique. Ces éléments sont indissociables : ils couvrent le continuum promotion–prévention–soins–réadaptation et exigent un ancrage communautaire, des technologies appropriées et des chaînes d’approvisionnement fiables.


5) Recommandations officielles de la Conférence (approfondissement)

Au‑delà des 10 principes, la Conférence a adopté un corpus de recommandations détaillées, utile comme feuille de route opérationnelle. Synthèse thématique :

5.1. Santé et développement : ancrer les SSP dans la planification nationale

  • Intégrer et renforcer les SSP dans les plans nationaux de développement, avec un accent sur les milieux ruraux et urbains défavorisés.
  • Coordonner les programmes intersectoriels (éducation, eau, logement, transports, travail, agriculture, environnement).

5.2. Participation communautaire véritable

  • Établir des mécanismes institutionnels pour que individus, familles et communautés assument une responsabilité réelle dans la gouvernance locale de la santé.
  • Partager le contrôle avec la communauté ; développer l’autogestion et la redevabilité locale.

5.3. Ressources humaines et équipes de première ligne

  • Définir les rôles techniques et les compétences par catégorie de personnel, en fonction des fonctions à accomplir au premier niveau.
  • Former/réorienter tous les personnels (médecins, infirmier·e·s, sages‑femmes, auxiliaires, agents communautaires) avec des stages de terrain.
  • Incitations adaptées (carrières, conditions de vie/travail, formation continue), notamment pour les zones sous‑desservies.
  • Valoriser les praticiens traditionnels lorsque pertinent, via formation et intégration sécurisée.

5.4. Technologies appropriées et logistique

  • Identifier/développer des technologies adaptées (simples, sûres, culturellement acceptables, maintenables localement) ; encourager la production locale lorsque possible.
  • Assurer des systèmes d’approvisionnement efficaces : disponibilité continue des vaccins (chaîne du froid), consommables et équipements au niveau communautaire.
  • Organiser des réseaux de référence (centres de santé, hôpitaux de district) pour un appui technique, logistique et clinique gradué.

5.5. Médicaments essentiels

  • Adopter une politique nationale du médicament (importation, production locale, distribution, réglementation, qualité, prix) pour garantir l’accès continu aux médicaments essentiels au plus bas coût possible et un usage rationnel.

5.6. Management, information et recherche

  • Mettre en place un cadre managérial à tous les niveaux : planification, allocation des ressources, suivi‑évaluation, systèmes d’information simples et pertinents.
  • Financer la recherche en services de santé (y compris l’évaluation des systèmes traditionnels) et des études opérationnelles pour améliorer en continu la mise en œuvre.

5.7. Financement, législation et mobilisation sociale

  • Réallouer des ressources vers les SSP ; rechercher une aide externe alignée et coordonnée.
  • Adapter/édicter des textes législatifs facilitant la mise en œuvre (compétences des agents de santé, gouvernance locale, participation, etc.).
  • Informer et mobiliser l’opinion : presse, radio, télévision, écoles, organisations de femmes/jeunes, afin de susciter l’adhésion aux SSP.

5.8. Coopération internationale et Sud–Sud

  • Partage d’expériences entre pays (notamment entre pays en développement), coopération technique et plans d’action concertés OMS/UNICEF.

Fil conducteur. La recommandation centrale est la traduction des principes en plans nationaux chiffrés, avec priorisation des populations et zones les plus vulnérables.


6) Directives opérationnelles (guide de mise en œuvre)

Pour passer du texte aux résultats, on peut organiser les directives en douze chantiers pratico‑pratiques :

  1. Diagnostic territorial. Cartographier besoins et inégalités par district ; identifier les « poches » d’exclusion.
  2. Paquet de SSP (8 éléments) contextualisé : adapter le panier de services aux endémies locales et aux risques prioritaires.
  3. Équipe de première ligne (centre de santé + agents communautaires) avec descriptions de postes, protocoles et supervision.
  4. Parcours de soins et système de référence/contre‑référence (centre → hôpital de district → hôpital régional) avec délais/indicateurs.
  5. Approvisionnements : plan vaccinal et chaîne du froid, médicaments essentiels (liste nationale), consommables, maintenance.
  6. Compétences : formation initiale et continue, mentorat de terrain, modules sur communication et compétences culturelles.
  7. Partenariats intersectoriels (éducation, eau, agriculture, collectivités locales, transport) et « santé dans toutes les politiques ».
  8. Participation : comités de santé communautaires, budgets participatifs, baromètre d’expérience patient, retour d’information.
  9. Financement : budgétisation basée sur les besoins, protection contre le risque financier (vers une couverture sanitaire universelle), suivi des dépenses.
  10. Législation et gouvernance : textes habilitants, délégation de tâches sécurisée, redevabilité (indicateurs publics, audits communautaires).
  11. Données et recherche : système d’information minimal (registre des naissances/décès, morbidité, vaccination), évaluations opérationnelles rapides.
  12. Communication/adhésion : campagnes d’éducation sanitaire, médias, écoles, leaders d’opinion, lutte contre la désinformation.

7) Pays participants et organisations (repères)

  • États représentés : 134 gouvernements (quasi‑universalité des États membres de l’OMS de l’époque).
  • Organisations représentées : 67 (Nations Unies, agences spécialisées, ONG en relations officielles).
  • Exemples documentés (non exhaustif) : URSS (pays hôte) ; États‑Unis ; France ; Espagne ; Finlande ; RDA ; Iran ; Pakistan ; Inde ; Lao PDR ; Pérou ; Guinée‑Bissau ; Costa Rica ; Égypte ; Philippines ; Thaïlande ; Éthiopie ; Soudan ; Colombie ; Barbade ; Gabon ; Empire centrafricain ; Maurice… ainsi que l’OMS et l’UNICEF.
  • Absence notoire : Chine (souvent mentionnée dans l’historiographie), bien que son expérience des « médecins aux pieds nus » ait inspiré la réflexion sur les SSP.

Conseil de lecture. Pour une liste complète et officielle, voir le rapport de conférence (annexes) et les historiques de l’OMS/PAHO.


8) Réception, débats et trajectoires (1978 → 2018)

8.1. L’enthousiasme initial et la stratégie « Santé pour tous d’ici l’an 2000 »

La Déclaration catalyse un mouvement mondial : plans nationaux SSP, programmes élargis de vaccination, politiques de médicaments essentiels, réseaux de soins de premier recours. Elle légitime l’équité et la participation comme objectifs.

8.2. Le tournant de la « SSP sélective » (début des années 1980)

Face aux contraintes financières et à la pression de résultats rapides, une approche dite sélective (GOBI, puis GOBI‑FFF) propose un paquet minimal de quelques interventions à fort impact (surveillance de croissance, SRO, allaitement, vaccination, etc.). Débat théorique et pratique : efficacité ciblée vs vision intégrée et sociale d’Alma‑Ata.

8.3. Ralentissement puis relance

Les années 1990 voient un essoufflement relatif (réformes hospitalo‑centrées, ajustements structurels), puis une relance dans les années 2000 : médicaments essentiels (listes nationales), soins de santé primaires – maintenant plus que jamais (OMS, 2008), Objectifs du Millénaire, puis ODD.

8.4. Déclaration d’Astana (2018)

À l’occasion du 40e anniversaire, les pays réitèrent leur engagement envers des SSP forts et la couverture sanitaire universelle (CSU). Astana met l’accent sur : qualité, sécurité, accessibilité, respect et dignité, ressources humaines motivées/compétentes, intégration des services et équité. Continuité claire avec Alma‑Ata, actualisée aux défis contemporains.


9) Impact et pertinence actuels

  • Leçons durables : l’ancrage communautaire, l’intersectorialité, la prévention et l’équité restent les meilleurs multiplicateurs de santé.
  • Défis persistants : inégalités territoriales, financement durable des premiers recours, intégration des soins, pénuries de personnels, désinformation.
  • Opportunités : numérique de santé de proximité, soins intégrés (santé mentale, maladies chroniques, santé maternelle et infantile), approches « Une seule santé », participation citoyenne.

Message clé. La CSU ne se bâtit pas sur l’hôpital seul ; elle commence par des SSP robustes répondant aux besoins de chacun, sans barrière financière, au plus près des communautés.


10) Glossaire rapide

  • SSP : Soins de santé primaires (Primary Health Care, PHC).
  • Médicaments essentiels : Liste prioritaire de médicaments répondant aux besoins sanitaires majeurs, en qualité garantie et coût abordable.
  • Système de référence : Organisation permettant d’aiguiller les patients du premier niveau vers des niveaux plus spécialisés, et retour d’information.
  • Technologies appropriées : Méthodes/équipements scientifiquement fondés, simples, acceptables culturellement, économiquement adaptés et maintenables localement.
  • Participation communautaire : Implication effective des usagers dans la gouvernance, la planification et l’évaluation des services.

11) Bibliographie commentée (sélection pour approfondir)

  • Déclaration d’Alma‑Ata (1978). Texte original (10 principes et 8 éléments des SSP).
  • Rapport de la Conférence d’Alma‑Ata (1978). Recommandations détaillées et cadre opérationnel.
  • OMS (2008). Primary health care: now more than ever. (Relance globale des SSP).
  • Déclaration d’Astana (2018). Réaffirmation et actualisation : CSU, équité, intégration des services.
  • Littérature universitaire. Analyses historiques (revues systématiques, débats SSP intégrale vs sélective), études de cas par régions.

12) Annexes pédagogiques

12.1. Schéma : architecture d’un système SSP

  • Niveau communautaire (éducation, prévention, visites à domicile) → Centre de santé (consultations, MCH/FP, vaccins, petites urgences) → Hôpital de district (références, maternité, chirurgie essentielle) → Hôpitaux régionaux/nationaux (spécialisés).

12.2. Liste de contrôle (implantation d’un district SSP)

  • Diagnostic participatif ; panier de services ; équipe et formation ; chaîne d’approvisionnement ; système de données minimal ; plan de supervision ; mécanismes de participation ; budget et suivi financier ; partenariat intersectoriel ; communication.

12.3. Exemples d’indicateurs de suivi

  • Couverture vaccinale (DTC‑HepB‑Hib3, ROR1), TPC (soins prénatals ≥4), accouchements assistés, disponibilité des 25 tracers de médicaments essentiels, délai de référence, taux d’abandon vaccinal, satisfaction des usagers, dépenses de santé catastrophiques des ménages.

Conclusion générale

Alma‑Ata demeure la charte fondatrice des soins de santé primaires. Son ambition – équité, participation, technologies appropriées, intersectorialité et solidarité internationale – n’a rien perdu de sa pertinence. Les systèmes de santé qui s’y conforment obtiennent les meilleurs résultats durables : mieux‑être, résilience et confiance sociale.